L' Arche : une ville volante concue pour conquérire Mars

« Partez pour Mars ! Partez pour Mars ! Venez visiter et explorer ses immensités désertiques ! »
« Pour seulement 562 crédits par jour, tentez l’aventure Martienne ! »
Criait l’affiche sur le panneau de la gare centrale. Comment aurait ont pu imaginer, il y a cinq ans, que cela pouvait être possible : Partir en vacances sur Mars !
C’était un après-midi de décembre 65, le 8 ou le 9, je ne sais plus, en tout cas, il faisait très froid, vraiment très froid. À travers le hublot de ma chambre, je pouvais voir que la neige avait envahi toute la ville, les vitres des maisons et des tours avaient revêtu leurs manteaux de givre. Les toits étaient frangés de stalactites, des enfants malgré le vent glacial, tentaient de faire un bonhomme de neige. Soudain, une longue vague de chaleur balaya la petite ville, un raz-de-marée d’air brûlant, comme si l’on venait d’ouvrir la porte d’un four. Le souffle chaud passa sur les maisons, les buissons, les enfants. Les glaçons se détachèrent, se brisèrent et se mirent à fondre. La neige se liquéfia, découvrant les pelouses vertes, celle qui tombait du ciel se transformait en pluie chaude avant d’atteindre le sol. Sur le pas de leurs portes aux porches ruisselants, les habitants regardaient le ciel rougeoyer. Les fusées que l’on appelait les Arches sur leur plateforme de lancement crachaient des tourbillons de flammes dans une chaleur torride. Chaque pulsation de leurs puissants tubes d’échappement créait un nouvel été. Puis elles décolèrent dans un immense fracas, des multitudes d’Arches s’élevèrent dans le ciel ; l’humanité partait s’installer ailleurs et conquérir de nouveaux territoires. Je me rappelle avoir embarqué dans ces immenses structures métalliques qui ressemblaient à s'y méprendre à une ville, une ville désertique froide et sans âme faite de câbles, de tuyaux, une ville morte, inerte et figée mais pourtant gorgée de vie en sont sein. Faisant partie de l’équipe de maintenance de l’Arche 12, je découvris cette immense cité volante conçue pour transporter tous les éléments nécessaires à l’implantation de la vie sur Mars. À bord de l’Arche nous étions une poignée contre plus d’une centaine de robots conservateurs programmés, pour entretenir, gérer, rénover l’Arche et les différentes serres, et cellules où étaient stockés et entassés, objets, meubles et écosystèmes… Chaque robot avait sa fonction et sa tâche à accomplir, travaillait sans relâche uniquement dans le dessein de préserver ce patrimoine unique. Nous n’étions là que pour surveiller le bon déroulement de l’installation comme prévu et réparer les robots. Cette aventure fut entreprise dans l’espoir fou, que ces robots puissent implanter l’espèce humaine sur Mars en attendant l’arrivé des premiers colons.
Chacune des Arches, avait été conçue à l’identique et comportait donc un système interne de serres similaires. Le voyage était hasardeux et personne ne savait si toutes ces villes volantes allaient arriver à destination. C’est pour cette raison qu’à l’intérieur des Arches, chaque serre avait une fonction bien précise, créant ainsi une harmonie au sein de cette ville fusée, nous procurant toutes les ressources nécessaires à notre survie.
Il y avait une serre comportant tous les types de forêts et écosystèmes, une autre regroupant des morceaux de différentes grandes villes, une autre amalgamant tout le patrimoine génétique de la terre sous forme de nécropole… Elles furent toutes reliées entre elles par des canaux de vie, qui distribuèrent tout le nécessaire ( Oxygène, eaux, carburant…), pour la survie et la reproduction des conditions naturelles des milieux stockés.
 
Les personnes qui voulaient habiter sur Mars pouvaient louer des cellules privées et y ranger toutes leurs affaires, qu’ils retrouveraient après leur arrivée.
Pour ceux qui ne pouvaient pas se le permettre, leurs affaires étaient stockées dans des grandes cellules communes.
Le voyage fut très long et certains systèmes de conservations tombèrent en panne ; fuites d’eau, feux, avaries de l’Arche à répétitions dues aux poussières d’étoiles.Les robots furent obligés de recycler les objets et les éléments détruits ou de les changer de cellule, en entassant les affaires de plusieurs personnes dans une seule et même cellule. Plus tard, certains colons qui arrivèrent sur Mars ne revirent jamais leurs affaires.
Le voyage fut long, très très long et semé d’embûche. Pour nous, le travail de maintenance s’avéra énorme et nous n’étions pas assez pour subvenir aux besoins de cette ville volante.
Finalement après des années, Mars était là, aussi belle que nous l’avions imaginée dans nos rêves. Je me rappelle que du hublot de ma chambre, je pouvais distinguer ses cratères, ses canyons. Je vis aussi trois autres Arches en orbite qui nous attendaient. Qu’était-il advenu des autres ?. Soudain, l’Arche descendit à toute vitesse à travers l’espace, laissant derrière elle un sillage ardent, net et silencieux. Elle perdit de la vitesse au contact des atmosphères supérieures de Mars. Nous fûmes bringuebalés, secoués, et sur les dix-sept hommes et femmes présents sur l’Arche seulement seize d’entre eux survécurent à ce violent atterrissage. Les yeux grand ouverts et les visages plaqués sur les hublots, nous regardions Mars arriver vers nous. Les Arches, en atterrissant, calcinaient les champs rocailleux, changeaient la pierre en lave, l’eau en vapeur, le sable et la silice en une matière verte et vitreuse dont les éclats, un peu partout reflétaient l’invasion comme des miroirs brisés. Elles s’enfoncèrent dans le sol Martien avec des roulements de tambours et soulevèrent d’énormes fumées ardentes… Puis quelques instants plus tard le calme revint…

Villes agregats Martiennes

Seulement douze heures après notre arrivée, à peine remis de nos émotions, les robots sortirent de l’Arche et se mirent à entreprendre la création d’habitations, au début, très sommaires puis de plus en plus évoluées. En quinze jours, l’Arche était entourée de structures ovoïdes enchevêtrées, « plugger » les unes aux autres. Elles se multipliaient, évoluaient à vue d’œil, comme des champignons, tout en proliférant sur les reliefs Martien.
Au bout d’un mois une ville entière était sortie du sable.

Par la suite, les robots construisirent d’autres petits agglomérats d’habitats plus loin, disséminés dans le désert afin de coloniser plus de territoire. Avec les quatre Arches, seul vingt pour-cent de la planète, fut colonisée. Une fois leur tache d’urbanisation achevée, ils commencèrent à vider les cellules et à installer les objets dans les maisons. Cela ne leur prit pas beaucoup de temps vu la vitesse à laquelle ils travaillèrent. Mais, ils commencèrent rapidement à ne plus avoir d’objectif précis, errant dans les rues des villes telles des âmes en peine. N’ayant plus de travail, certains déprimèrent tellement, qu’ils se suicidèrent en s’auto grillant les circuits.

D’autres se perdirent dans l’immensité de Mars. Aujourd’hui encore, en cherchant bien, on peut trouver des carcasses de ces pionniers dans le sable Martien. À cause de cela, leur programme interne d’intelligence artificiel fut modifié et remit à jour par l’unité centrale de l’Arche.

Interieur de maison capsule Martienne

Ils s'installèrent alors dans les maisons, en attendant les humains, et décidèrent d'y habiter tout en
continuant à les faire évoluer. Vivant presque comme eux, les robots devinrent les premiers habitants non humains de Mars

Moi, ainsi que les autres rares humains artificiels présents sur Mars, nous continuâmes notre travail de maintenance sur les robots en attendant l’arrivée des Terriens. Puis le 8 ou le 9 décembre, je ne me souviens plus exactement, il faisait chaud, vraiment très chaud.
Une alarme retentie dans l’Arche. Enfin, ils étaient là ! Les premiers colons dans leur fusée super sonique, prêt à vivre une nouvelle vie, voir une seconde vie sur Mars. Ils venaient pour y découvrir, y perdre ou y obtenir quelque chose. Pour déterrer, enterrer ou abandonner quelque chose. Ils venaient avec des rêves ou sans but précis, pour voyager et oublier les villes odieuses de la terre le temps d’une escale. Mars étais devenu le nouvel Eldorado, mais beaucoup ne revirent plus jamais la terre.


Extrait du journal de bord de l’unité de maintenance Ray Bradbury, second électricien, Arche n°12


(Inspiré : des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury 1950 édition Denöel poche, traduction Henri Robillot)